Luc Sougné, 9e Dan Kukkiwon, 9e Dan Chung Do Kwan

 

 

 

Le 14 novembre 2023, Luc Sougné marque d’une pierre blanche l’histoire de notre fédération : il obtient le grade ultime de 9e Dan.

Il a passé son grade au Kukkiwon à Séoul, en Corée du Sud. Il a également passé son 9e Dan dans l’école Chung Do Kwan; cet accomplissement le rend l’unique titulaire belge de deux diplômes de 9e Dan.

 

Il a accepté de nous accorder une interview qui retrace son cursus sportif.

Quand et pourquoi avoir commencé le Taekwondo ?

 

En 1974, j’étais 1er dan et professeur de Judo et pratiquant de Karaté. Un jour, j’ai vu une affiche annonçant l’ouverture à Liège du 1er club de Taekwondo dans la région. Je me suis rendu au premier cours et après 50 ans de pratique, je suis toujours en dobok.

Quel est le souvenir de ton premier entraînement ?

 

J’avais lu auparavant des articles sur le Taekwondo en France et j’étais impatient de découvrir et de pratiquer cette discipline. Une vingtaine de jeunes étaient venus assister au premier cours. Le professeur d’origine vietnamienne, vêtu d’un dobok ITF (rien d’autre à l’époque) a directement expliqué l’intérêt de la discipline, de la rigueur et de l’accent sur les techniques de base. J’ai toujours gardé cette priorité dans ma pratique par la suite. On était aussi impressionnés par la terminologie coréenne dont nous entendions la sonorité pour la première fois. Mais c’était l’envie d’en savoir plus qui primait.

Quelles étaient les conditions d’entraînement à ce moment-là ?

 

Nous étions un club pionnier et totalement isolé sans aucun contact avec d’autres pratiquants de Taekwondo. Nous n’avions aucune idée des règles de compétition, donc nous répétions beaucoup le kibon, les Ilbo daeryun et les Poomsae. A noter qu’à l’époque, les Taegeug n’étaient pas encore parvenus en Europe. Nous pratiquions les Hyungs de l’ITF et ce quasiment jusqu’à mon passage de 1er dan. Ce n’est que, après la création de la fédération (ABFT), nous avons pris le GM Kim Yong Ho de Paris comme Directeur Technique qui nous a enseigné les Taegeug.

 

Pas de protections (plastrons inconnus) donc combats au club assez rudes….Pour, malgré tout, se tester, nous avons participé à quelques compétitions de karaté mais avec le désavantage que nous n’étions pas habitués à arrêter les coups de pieds et poings.

 

Dès le grade de 4e keup (ceinture bleue), j’étais chargé au début du cours de prendre en charge les nouveaux arrivants afin de leur enseigner les techniques de base. Cela a aussi influencé mon style d’enseignement plus tard.

 

En fait, nous avions le sentiment d’être des pionniers tout en ne sachant pas comment allait se dérouler notre pratique future vu notre isolement.

Comment et pourquoi as-tu crée ton propre club ?

 

Durant toute ma progression, nous n’avions aucune idée de quand et de qui allait pouvoir nous faire passer la ceinture noire. Lors de la création de l’ABFT, notre Directeur Technique, Kim Yong Ho (école Chung Do Kwan) a organisé le 1erpassage au début de l’année 1980 à Mons.

 

Nous étions 3 à passer avec Christian Aubert et le frère de son professeur (Leblanc).

 

Ayant à l’époque deux clubs de Judo, je décidais dès après mon passage de 1er dan de switcher mon club de Judo d’Ans en club de Taekwondo il y a 44 ans.

 

Le succès a été rapide et j’ai dû trouver une 2e salle avant d’intégrer le Hall des Sports de Loncin où je suis toujours. Notre club s’est aussi intégré dans les activités fédérales (stages, compétitions, démonstration, etc).

Quel a été ton rôle moteur pour développer la fédération ?

 

En tant qu’un des fondateurs de l’ABFT (Mai 1979), j’ai directement intégré le Conseil d’Administration dans lequel j’ai occupé différentes fonctions (Trésorier adjoint, Vice-Président) avant d’être élu Président en 1985. Poste que j’ai occupé 25 ans.

 

En parallèle, nous avons dès l’été 1979 créé l’Union Nationale Belge (UNBTU) avec nos amis flamands où j’ai également intégré le Conseil d’Administration comme trésorier et puis Secrétaire Général pour arriver à la présidence (en alternance) dès 1989 (fonction exercée pendant 17 ans).

 

Dans les années 80, j’officie en tant qu’arbitre international, ce qui va me procurer nombre de relations internationales.

A partir de là, commence une période de 25 ans en tant que Président. Une période où il a fallu tout construire à commencer par populariser ne serait-ce que le nom Taekwondo.

 

Petit à petit, on a mis en place les structures (Commissions, comités provinciaux, stages, compétitions, démonstrations, relations publiques, entraînements fédéraux, équipe fédérale,…) sans oublier les relations institutionnelles avec les autorités sportives (Comité Olympique, Ministère des sports, ADEPS, services provinciaux des sports, autorités communales).

 

Un des rôles prépondérants du Président est de veiller à la cohésion de la structure fédérale, des relations avec l’ensemble des acteurs de l’organisation et bien sûr des clubs avec l’objectif de rassembler la majorité sinon la totalité des clubs sous la bannière de la fédération officielle et reconnue.

 

Comme toute organisation humaine, nous avons connu des turbulences à différentes époques mais nous avons toujours pu maintenir le cap et représenter l’immense majorité des pratiquants de Taekwondo, faisant nôtre la devise Belge : l’Union Fait la Force.

 

Parallèlement, j’ai occupé différentes fonctions de terrain, indispensables à la perception de la réalité de la fédération : Responsable de l’arbitrage (Arbitre International de 1980 à 1989), membre de de la commission des grades et du jury, mise en place et chargé de cours des formations Adeps (1984), Gestionnaire de la commission sportive, création et présidence du comité provincial liégeois, organisateur de diverses activités dont l’Open de Belgique à Liège (première fois sur deux jours) en 1987 et 1988, Officiel accompagnant l’équipe nationale dans les grands rendez-vous du calendrier international comme championnats du monde, championnats d’Europe depuis 1979. J’en suis actuellement Président d’Honneur.

 

Enfin, au niveau international, j’ai eu le privilège d’occuper diverses fonctions qui m’ont permis de contribuer à l’évolution du Taekwondo à différents niveaux ainsi que d’être présent à quasi tous les championnats du monde depuis 1979 et les JO depuis 1988. En voici une brève liste.

WT (World Taekwondo Federation)

 

 

 

Fonctions

 

  • Vice-Président du Comité des Relations Publiques
  •  
  • Président Du Comité des Relations Publiques
  •  
  • Président du Comité TV et Médias

 

 

Fonctions

 

  • Vice Président
  •  
  • Secrétaire Général
  •  
  • Administrateur
  •  
  • Président du Comité TV et Médias
  •  
  • Vice-Président du Comité Taekwondo pour tous
  •  
  • Secrétaire Général d’Honneur
ETU (European Taekwondo Union)
Kukkiwon

 

 

Fonctions

 

  • Membre du Comité Consultatif International
  •  
  • Membre KMS

Fonctions

 

  • Président délégué
  •  
  • Vice-président
UMFT (Union Mondiale Francophone de Taekwondo)
KimUnyong Sport Committee

Fonctions

 

  • Président d’Honneur pour la Belgique
  •  
  • Membre du Comité International

 

 

Fonctions

 

  • Membre du Conseil d’Administration
AISF (Association Interfédérale du Sport Francophone)
COIB (Comité Olympique Interfédéral Belge)

 

Fonctions

 

  • Membres du Conseil Francophone du Sport
  •  
  • Membre du Comité Provincial Liégeois

 

Fonction

  • Responsable Médias pour l’Europe

 

Fédération Mondiale de la Police

World Taekwondo Festival

Fonction

 

  • Président du Comité

Fonction

 

  • Président du Comité Médias

 

World Taekwondo Club’s Federation

Quel est ton regard sur l’évolution du Taekwondo ?

 

Globalement, il convient de constater l’immense progression du Taekwondo en 50 ans. D’un art martial peu connu, il est devenu une des disciplines solidement installées dans le cercle olympique.

 

Il faut remercier le Président Un Yong Kim pour avoir installé le taekwondo au programme des Jeux Olympiques et le Président Chung Won Choue pour l’y avoir maintenu. Il s’agit d’une progression qui a pris parfois le double du temps pour d’autres sports.

 

L’évolution a été majeure, d’abord par sa diffusion mondiale orchestrée la Corée, notamment par l’envoi d’instructeurs dans le monde entier (213 +1 nations membres actuellement de la fédération mondiale).

 

Ensuite par l’évolution des structures mondiales et continentales menant aux sommets de l’évaluation, en matière d’organisation et de gouvernance, par le CIO et l’ASOIF.

 

A noter l’évolution des méthodes d’arbitrage avec les protections électroniques, qui bien que dépendantes d’adaptations technologiques, offrent une meilleure transparence objective dans les compétitions. Il n’en reste pas moins que l’aspect humain, en ce compris la nécessaire attention à la formation et l’évaluation des juges, ne pourra jamais être oubliée.

 

On ne peut oublier non plus que l’évolution continue avec l’introduction du Para Taekwondo aux Jeux et la possible introduction aux JO de 2028 du Poomsae free style ou du mixed team en combat.

 

On ne peut éluder la controverse concernant le nouveau format de compétition. Sans nul doute, un retour à l’old school est impossible mais cela n’exclut en rien une recherche permanente pour accroitre le côté attractif des combats notamment via les médias. Cela fait l’objet de discussions incessantes au niveau des différentes instances.

 

Le côté sportif est bien évidement la fenêtre du Taekwondo vers l’extérieur. Il convient de ne pas oublier le côté traditionnel et art martial dont le Kukkiwon est le principal ambassadeur.

 

Le Taekwondo s’inscrit dans un monde en mouvement nécessitant une réflexion permanente prenant en compte la richesse de notre discipline, offrant, de par ses différentes facettes (combat, Poomsae, hosinsul, casse), valeurs philosophiques, mentales et physiques et un éventail d’options et de voies pour l’épanouissement de chacun.

 

Un équilibre subtil entre la WT et le Kukkiwon pour surveiller l’évolution des différentes facettes du Taekwondo est la condition d’une poursuite positive de l’aventure sans oublier les Unions Continentales et les MNA’s.

 

Enfin, il faut souligner le rôle sociétal joué par la WT avec la fondation humanitaire mettant en avant des valeurs de solidarité mondiale, de contribution à la paix, de respect et de soutien par le sport à des populations moins favorisées.

 

Enfin, au-delà de tout débat sur les styles et formats de compétition, il convient de garder en permanence l’accent sur les valeurs constitutives du Taekwondo : le respect, l’harmonie intérieure, l’ouverture aux autres, le self control, l’humilité, l’attitude mentale positive, la persévérance.

Ton meilleur souvenir en Taekwondo ?

 

Je pourrais en citer des dizaines, tant ces 50 dernières années ont été riches en émotions et expériences diverses.

 

J’en retiendrai quelques-uns :

  • Les Jeux Olympiques de Séoul en 1988.

 

Ce sont les jeux de la réconciliation après les deux boycotts (1980 et 1984) et c’est la première apparition du Taekwondo aux JO (en tant que sport de démonstration). Le sport est avant tout une histoire d’émotions. Que dire de cette démonstration de 1300 Taekwondokas dans le stade olympique durant la cérémonie d’ouverture. Un exercice remarquable qui a fait découvrir le Taekwondo à des centaines de millions de téléspectateurs. Y assister en live a été un moment inoubliable.

 

  • La décision d’accepter le Taekwondo au programme officiel des Jeux de 2000 à Sydney.

 

Le 4 septembre 1994 à Paris, après 20 ans d’efforts de la WTF et de son Président (Kim Un Yong), le CIO est amené à prendre cette décision. Jusqu’au dernier moment, rien n’est sûr mais le 4 septembre en fin d’après-midi, la porte de la salle de réunion s’ouvre et le président Kim sort les bras levés. C’est fait. Le rêve est devenu réalité. Avoir été présent ce jour-là est aussi un moment indélébile dans ma vie sportive.

 

  • Le 25e anniversaire de cette acceptation du Taekwondo aux JO, célébré au Musée Olympique à Lausanne et au Bureau des Nations Unies à Genève. Honoré d’avoir été invité a cet événement rehaussé par les équipes de démonstration de la WT et l’ITF, toutes deux rivalisant de technique et d’adresse en présence du Président du CIO, Thomas Bach.

 

Avec un autre point d’orgue, Metin Sahin (actuel Président de la fédération Turque et Kook Hyun Jung (Champion Olympique et quadruple Champion du monde) en finale des championnats du monde en 1985, 34 ans plus tard refont cette finale (démo bien sur) devant le Président du CIO et l’ancien Chancelier Allemand, Gerhard Schroeder. Emotion !!

 

 

 

  • Mon passage du 9eme Dan bien sûr !

50 ans après avoir débuté le Taekwondo, 44 ans après avoir passé le 1er dan, un aboutissement inimaginable 30 ou 40 ans plus tôt.

 

Passer ce grade ultime dans le cadre symbolique du Kukkiwon ajoute encore à l’émotion du moment.

 

Moment où l’on regarde en arrière et on passe en revue toutes ces années, les difficultés franchies, les réussites et surtout l’aventure humaine qui permet de ne pas abandonner et de poursuivre malgré les soucis de tous ordres y compris de santé.

 

De combien de remerciements suis-je redevable vis-à-vis de tous ceux, qui, à leur niveau, m’ont inspiré, aidé, encouragé, motivé durant toutes ces années. Sans nul doute, on n’atteint pas un tel moment sans un soutien permanent y compris bien sûr de la famille.

 

A noter l’importance donnée par le Kukkiwon à cette mise à l’honneur de ceux qui atteignent ce niveau via une cérémonie protocolaire imprégnée de tradition mais aussi d’accent mis sur le rôle des 9e Dan dans la poursuite de la promotion du Taekwondo.

 

Comment s’est passé ton examen de 9e Dan ?

 

L’examen en soi est l’aboutissement d’un processus qui commence des mois (si ce n’est des années) auparavant.

 

En effet, pour passer et réussir un examen de grades, la première condition est de décider de le faire.

 

Il faut s’engager vis-à-vis de soi-même, en fonction du timing envisagé, de se préparer sérieusement. A ce stade, on se connait un peu et donc on peut évaluer ce qu’il convient de faire pour être prêt le jour J.

 

Dans mon cas, cela a pris plus de temps que prévu vu le Covid et mon opération qui m’ont fait patienter deux ans de plus.

 

Un examen au Kukkiwon traditionnellement se prépare aussi une semaine avant sur place à Seoul.

Je me dois donc de remercier GM Shin Byung Hyung du Ching Do Kwan pour son aide précieuse durant cette préparation. Je tiens aussi à remercier GM Seo Min Hak qui m’avait aidé de la même manière pour le 8e Dan passé également au Kukkiwon en 2012.

 

L’examen est précédé par 4 heures de préparation intensive au Kukkiwon avec un instructeur dédié.

 

Enfin, l’examen se déroule devant un jury de 3 membres 9e Dan senior et un superviseur dans un déroulé très rigoureux qui ajoute au stress inévitable dans ce cadre iconique du Taekwondo mondial.

 

J’y attache bien sûr mon passage 9e Dan au Chung Do Kwan, passé un jour avant celui du Kukkiwon dans le cadre d’une des écoles historiques du Taekwondo où j’ai trouvé ces valeurs de respect et d’entraide. Un immense merci à eux.

Quel est ton prochain défi ? 10e Dan ?

 

En Taekwondo, il n’y a pas de 10eme Dan si ce n’est à titre posthume, ce qui explique que je n’en fais pas une priorité absolue…

 

Quoi d’autre comme défi ? En fait continuer à pratiquer, à enseigner et à contribuer au travers de toute opportunité qui me sera offerte de la même manière que je le fais depuis 50 ans.

 

L’avenir nous le dira.